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Tribune

Opinion | La nécessité d’un enseignement magistral

LE CERCLE - La préparation des jeunes diplômés aux mutations du marché du travail se satisfait-elle d'une polarisation sur les savoir-faire et les savoir-être ? Il peut être nécessaire de faire le "pas de côté" et s'interroger sur les connaissances à détenir pour de futurs salariés issus de l'enseignement supérieur. (Par Yvan Leray, maître de conférences)

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Par Yvan Leray (Maitre de conférences)

Publié le 23 sept. 2019 à 09:41Mis à jour le 23 sept. 2019 à 10:19

Les pratiques de l’enseignement en gestion accordent une place croissante à des mises en situation transversales, "hors les murs", par projet, inversées, sous forme de cases studies, serious games et autres méthodes, favorables à l'engagement de l'étudiant (son implication, voire sa créativité individuelle et/ou collective). Celles-ci comportent sans nul doute des vertus pour des publics de niveau Master, mais constituent-elles un modèle de référence pour le niveau préparatoire (L) ? C’est une question qui se présente aux acteurs (enseignants, enseignants-chercheurs, formateurs, intervenants praticiens…) de la formation supérieure en gestion.

La compréhension des problèmes ne peut pas se satisfaire d'un savoir-faire (souvent mal maîtrisé et appuyé sur des boîtes à outils non comprises et non contextualisées) et d'un savoir-être (souvent artificiel, car de plus en plus polarisé sur l'oralité auto-satisfaisante). Cela oblige à recourir au savoir réellement détenu par un étudiant. Il est aisé d’admettre que l’autonomie par rapport aux connaissances, la liberté de développer un esprit critique [1], ou plus largement la compréhension de l’information, repose sur l’effort personnel d’acquisition d’un socle distancié de connaissances [2]. La théorie est à poser bien avant la consommation de pratiques et de boîtes à outils conduisant à ne pas comprendre la portée des difficultés à traiter.

Comment croire que les "soft skills" (voir l’étude Linkedin-LSA auprès de décideurs de la distribution) peuvent être des sources de compréhension d’un monde complexe (au sens d’Edgar Morin) ? Pour les formations post-bac, est-il réellement pertinent de mettre au rebu des cours magistraux obligeant à un effort personnel de compréhension d’un corpus théorique ? Si des outils connexes basés sur une forme de coopération apportent des compléments utiles, ils ne constituent pas une fin en soi, sauf à considérer que le modèle d’enseignement devient vertical ascendant !

Avec les réformes successives du système scolaire, on peut se demander si le centre de gravité ne s’est pas déplacé des réalités sociales objectives (à l’excès parfois dans la reproduction de classes ; habitus) vers une somme de réalités individuelles agrégées non pas dans une construction commune d’actions (au sens de l’individualisme méthodologique), mais dans un modèle de valeur subjectif prenant pour alibi l’apprenant (aujourd’hui de génération Z) [3]. Pour répondre aux mutations technologiques, l'enjeu est d'ordonnancer l'acquisition des savoirs, au bon niveau, au bon endroit et dans les bonnes conditions [4].  On attendra d’un étudiant en Master qu’il cultive la transversalité et le développement de ses connaissances par induction, mais est-il opportun de le mettre sur un chemin non jalonné de références théoriques et académiques ?

L’acquisition d’une connaissance est le résultat d’un aller-retour entre la théorie et la pratique, entre le savoir et ses applications. L’immédiateté et la facilité d’accès à l’information conduisent à privilégier le choix d’un aller simple vers l’application immédiate, au détriment des aptitudes à la prise de recul, à la conceptualisation et à l’analyse. On tend aisément à faire de la créativité une boîte à outils. On tend aisément à faire de la résolution de problème une démarche linéaire. On laisse à penser que la connaissance est un processus dont le degré d'incertitude est mesuré par la rapidité de la connexion aux supports informationnels, et non par l’effort d’abstraction et l’introduction du doute. Il est peut-être temps de ne pas faire disparaître le cours magistral de l’enseignement de 1ercycle afin de permettre aux générations actuelles d’apprendre à apprendre, d’apprendre à comprendre.

[1] Gauvrit, N et S Delouvée (dir) (2019), Des têtes bien faites. Défense de l’esprit critique, PUF
[2] Wolton, D (1997), Penser la communication, Flammarion.
[3] Sur ce point, cela reviendrait à décider que la génération Z digital native et hyper-connectée doit être formée en respect de valeurs émergentes du type : recherche de singularité, préférence pour l’expérience, sensibilité aux influenceurs (voir étude OC& C Strategy Consultants, janvier 2019, sur les marques).
[4] L'ingénieur du futur aura développé des "poly-compétences" favorables à l’application transversale de connaissances et à la créativité (part de l’intuition) grâce à la "puissance cognitive" et à la construction théorique acquise en cycle préparatoire sélectif (Étude Portrait de l’ingénieur 2030, Institut Mines Télécom, 2014, 42 pages).

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